Avez-vous peur du déclassement, par exemple par rapport à vos parents ou même vos anciens camarades de classe ?

J'aimerais partager mon parcours, et essayer de remettre légèrement en cause certaines idées reçues.

Ma famille avait il y a quelques générations une petite 'fortune' (attention, quelques millions, pas des milliards), et ce n'est plus le cas. C'est donc du déclassement, même si nous ne le subissons pas forcément cela avec amertume.

Parmi les raisons, il y a une tradition de familles nombreuses, et aussi depuis au moins trois générations des mariages par amour sans arrières pensées patrimoniales. Si l'on rajoute le gouffre qu'ont représenté l'entretien de maisons de familles vendues trop tard (refaire un toit peut coûter plusieurs centaines de milliers d'euros...), les guerres, et quelques investissements hasardeux, souvent de l'immobilier devenu obsolète, il ne reste plus grand chose du patrimoine familial qui était probablement encore conséquent avant la seconde guerre mondiale.

Néanmoins, je ne me plains pas, d'autant que mon père a beaucoup travaillé (vraiment beaucoup) avec un certain succès, et nous avons pu avoir toutes les opportunités que des enfants peuvent souhaiter avoir (études dans un bon collège / lycée, séjours linguistiques, activités), sans pour autant tomber dans le luxe ostentatoire qui je pense ne nous aurait rien amené.

Par contre, mon père travaille dans un domaine très spécialisé que j'ai choisi de ne pas rejoindre, et donc je n'ai pas pu bénéficier de réseaux familiaux pour ma carrière.

J'ai fait parmi les meilleures études que l'on puisse faire en France (grâce à de bons professeurs, mais aussi beaucoup de travail, des camarades qui m'ont aidé et évidemment de la chance) et pendant ces études, j'ai vu parmi mes camarades de promo une majorité de personnes venant clairement de la classe moyenne légèrement supérieure, avec probablement un gros tiers de fils de prof, et aussi beaucoup de fils de fonctionnaires et également des fils de médecins, mais moins. Le modèle français a à mon avis un ascenseur social en deux générations, typiquement un fils d'ouvrier ou de paysan devient instituteur, et 'coache' ensuite ses enfants pour faire de très bonne études.

Retour à mon parcours, ces bonnes études m'ont permis de voyager (stages...) et d'entrer relativement facilement comme col blanc dans une des grandes entreprises en France (disons du CAC40 ou équivalent). Là, je me suis beaucoup investi, mais sans obtenir un poste à responsabilités, la faute probablement partiellement à la chance, partiellement à des choix privilégiant le cadre de vie et l'ambiance au travail, une manque de prise de risque et probablement à un manque de sens politique: j'ai plutôt un caractère timide.

Et puis, il faut tout simplement se rappeler, que, même parmi les cadres seulement 1 sur 1000 deviendra directeur, et peut-être 1 sur 100 responsable de département, et la grande majorité des autres aura une carrière stagnante avec un salaire très loin des fantasmes. Je pense que par rapport à mes camarades de promotion, sans avoir jamais 'déconné', je suis clairement dans la seconde moitié en terme de réussite.

J'ai choisi d'habiter dans une région agréable et chère (la Provence), j'ai des enfants (mais deux seulement, et la décision de s'arrêter à deux est partiellement économique), et mon épouse, qui est étrangère, ne peut prétendre à une 'carrière' en France. Notre situation financière n'est pas mirobolante, à peu près je pense l'équivalent d'un couple d'enseignants. Si nous habitions une région moins onéreuse, la situation pourrait être complètement différente.

Tout ceci nous oblige à faire des choix pour garantir l'essentiel, qui est clairement d'ouvrir toutes les portes possibles à nos enfants tout en ayant suffisamment de petits bonheurs en cours de route pour ne pas se décourager. Nous pensons y arriver si nous nous organisons bien, mais ce sera juste.

Mon niveau de vie a-t-il baissé par rapport à mes parents et grands-parents ? Dans un sens oui, un luxe comme une maison de campagne est complètement inenvisageable pour nous, et nous avons fait l'impasse, pour des raisons financières, sur des loisirs comme le ski. Nous faisons très attention aussi à nos dépenses d'habillement.

Par contre, nous avons tous accès à des outils dont ils n'auraient même pas rêvés, en particulier avec l'informatique. J'apprends par exemple l'anglais à mes enfants, et grâce aux excellentes applications sur le sujet (gratuites ou presque), mes enfants en fin de primaire parlent mieux l'anglais que moi en 4è après plusieurs séjours linguistiques. Le cadre de vie s'est aussi beaucoup amélioré pour tous: je ne suis pas sûr que j'aimerais revenir aux villes aux murs noirs de fumée de charbon que mes parents ont connu.

Je vis bien tout cela en me rappelant que la chance est un facteur énorme, et aussi que, même si je suis loin de la situation relative de mes grands-parents, j'ai quand même suffisamment de ressources pour avoir des opportunités, et le problème est plutôt que je ne les saisis pas toujours bien.

/r/AskFrance Thread