Financement libyen: l’ultime défaite de Sarkozy face à Mediapart

C’est, au bénéfice de Mediapart, l’épilogue d’une bataille judiciaire commencée il y a près de sept ans, au printemps 2012. Enquêtant depuis juillet 2011 sur les liens noués par Nicolas Sarkozy et son entourage proche avec la dictature libyenne et son dirigeant Mouammar Kadhafi, Fabrice Arfi et Karl Laske révélaient, le 28 avril 2012, un document officiel libyen sauvé des archives de la dictature après sa chute en 2011 (lire ici notre enquête de 2017 sur la folle histoire de ce document).

Datée du 10 décembre 2006, cette note atteste d’un « accord portant sur le soutien de la campagne électorale du candidat aux élections présidentielles Monsieur Nicolas Sarkozy pour un montant de 50 millions d’euros ». Cet « accord de principe », poursuit le document signé par Moussa Koussa, chef des services extérieurs du régime libyen, ressort du « procès-verbal » d’une réunion tenue le 6 octobre 2006 en présence, côté français, de Brice Hortefeux et de l’intermédiaire Ziad Takieddine, durant laquelle « il a été convenu du montant et des modalités de versement ». Élu président de la République le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy recevra en grande pompe Mouammar Kadhafi en décembre de la même année, lors d’une visite officielle de cinq jours.

S’ajoutant à bien d’autres documents et informations révélés par notre enquête (lire notre dossier complet), cette révélation de Mediapart entraînera, un an plus tard, en 2013, l’ouverture d’une information judiciaire sur ces soupçons de corruption d’une démocratie par une dictature. Elle vaut aujourd’hui à Nicolas Sarkozy d’être mis en examen, depuis le 21 mars 2018, pour « corruption passive », « financement illégal de campagne électorale » et « recel de fonds publics libyens ». Cette triple mise en examen s’ajoute à son double renvoi en correctionnelle, à nouveau pour « financement illégal de campagne électorale », dans le dossier Bygmalion qui concerne la présidentielle de 2012, et pour « corruption active » et « trafic d’influence » dans l’affaire Paul Bismuth.

La bataille engagée contre notre journal par Nicolas Sarkozy et son fidèle lieutenant Brice Hortefeux avait évidemment pour enjeu de retarder ou d’entraver l’enquête judiciaire sur le scandale libyen, en discréditant nos révélations initiales. Avec le secours de quelques médias complaisants ou partisans, l’ancien chef de l’État va donc mener campagne en nous accusant de « faux et usage de faux », sans se risquer pour autant à nous poursuivre en diffamation car la loi sur la presse l’aurait obligé à faire face à notre « offre de preuves », c’est-à-dire aux faits, documentés, recoupés et détaillés, révélés par notre enquête.

Après avoir porté plainte, sans succès, auprès du procureur de la République le 30 avril 2012, il déposait une seconde plainte avec constitution de partie civile le 12 juillet 2013 pour « faux et usage de faux, recel de ces incriminations et publication de fausses nouvelles », visant uniquement la révélation de la note libyenne. Après trois années d’investigations très poussées, les deux juges chargés d’instruire cette plainte concluaient, dans une ordonnance de non-lieu rendue le 30 mai 2016, à l’absence d’éléments objectifs permettant de mettre en doute l’authenticité de la note révélée par Mediapart.

Nicolas Sarkozy décida alors d’attaquer cette décision devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Deuxième défaite : le 20 novembre 2017, cette instance judiciaire rendait un arrêt implacable qui, confirmant le non-lieu des juges d’instruction, affirmait que la note libyenne révélée par Mediapart n’est ni « un faux matériel » ni « un faux intellectuel ». C’est cette décision que l’ancien président, ainsi que Brice Hortefeux, ont tenté en vain de contester devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. L’arrêt rendu le 30 janvier par Christophe Soulard, président, Patrick Wyon, conseiller rapporteur, et Élisabeth de la Lance, conseillère de la chambre, est donc leur troisième et définitive défaite.

Lire aussi Notre dossier: l’argent libyen de Sarkozy Par La Rédaction De Mediapart Sarkozy-Kadhafi: l’affaire des affaires Par Edwy Plenel Confirmant l’arrêt de la chambre de l’instruction et, par conséquent, le non-lieu rendu par les juges en faveur de Mediapart, ses attendus ne souffrent aucune ambiguïté. La Cour de cassation souligne d’abord « que tant les conclusions de l’expertise effectuée au sujet de la note arguée de faux, qui militent en faveur d’un document physique ayant réellement existé, que les auditions des témoins, notamment d’anciens membres de l’ambassade de France en Libye, et les conclusions de l’expertise en écriture qui ont authentifié la signature de M. Koussa sur cette note, ne permettent pas de conclure que ce document est un faux matériel ». Elle ajoute ensuite « qu’à l’issue des investigations effectuées, notamment sur les emplois du temps des protagonistes, il n’est pas possible de conclure que la réunion du 6 octobre 2006, dont rien ne permet de connaître les modalités ni le lieu, n’a pu se tenir ».

Considérant dès lors les motifs de la décision de la chambre de l’instruction « exempts d’insuffisance comme de contradiction », la Cour de cassation rejette les pourvois de Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux. Elle leur enjoint, de surcroît, de payer à Mediapart une somme globale de 2 500 euros au titre des frais de justice (article 618-1 du code de procédure pénale). Dès réception de cet argent, nous tiendrons nos lecteurs informés de l’usage qui en sera fait. D’ici là, et dans l’attente des suites de l’instruction judiciaire du dossier libyen dont le juge Serge Tournaire a la charge, nous vous recommandons chaudement la bande dessinée dont la sortie, ce même 30 janvier 2019, salue en quelque sorte la décision de la Cour de cassation. Fabrice Arfi s’y est associé à quatre autres enquêteurs (Benoît Collombat, Michel Despratx, Élodie Guéguen, Geoffrey Le Guilcher) et à l’illustrateur Thierry Chavant pour ce formidable album, publié par La Revue dessinée et les éditions Delcourt. L’avertissement au lecteur de ce Sarkozy-Kadhafi. Des billets et des bombes ne manque pas de pertinence : « Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait non fortuite. Et pour cause, tout ce que vous lirez ici est réel. » Une réalité qui n’aurait jamais été connue sans Mediapart.

/r/france Thread Link - mediapart.fr