Jean Sylvestre Mongrenier (Paris VIII) : L'Iran mène une guerre au Moyen-Orient pire que les agissements de Saddam Hussein ou Al-Qaïda

L'Iran mène une guerre au Moyen-Orient pire que les agissements de Saddam Hussein ou Al-Qaïda

Par Jean Sylvestre Mongrenier, Chercheur à l'Institut Francis de Géopolitique (Paris VIII)

Le 14 septembre dernier, une ou plusieurs salves de drones et de missiles ont détruit une partie du complexe pétrolier saoudien d’Abqaï-Khouraïs, dans la partie orientale du royaume, à une centaine de kilomètres de bases et de “facilités” ouvertes à l’armée américaine.

On sait que cette attaque a amputé de moitié la production pétrolière d’Arabie Saoudite, l’un des trois premiers producteurs mondiaux. Le choc a retenti sur le marché du pétrole et les principales places boursières, mettant en en danger l’économie globale.

Les engins de destruction ont-ils été propulsés par les Houthistes, depuis le Yémen, ou les milices chiites qui prospèrent en Irak? Quoi qu’il en soit, tous les fils mènent à l’Iran et au régime islamique chiite qui sévit sous ces latitudes.

Nonobstant les commentaires lénifiants sur ces “mystérieuses” frappes, il est urgent d’ouvrir les yeux. “Back to basics”: les données fondamentales de ce drame géopolitique doivent être pleinement assimilées et méditées. Il est urgent de sortir du déni.

Si il n’est pas possible d’expliquer la situation au Moyen-Orient par un seul facteur et de manière unidimensionnelle, la réalité de l’expansionnisme irano-chiite, les dégâts provoqués et les menaces qu’il représente, hic et nunc, s’imposent à l’analyse géopolitique. En premier lieu, il importe de mettre en perspective les faits.

Curieux alliage de panislamisme et de tiers-mondisme marxisant à ses débuts, la révolution islamique chiite de février 1979 et l’arrivée au pouvoir de l’imam Khomeyni sont à l’origine d’un grand chambardement au Moyen-Orient et dans le monde, accru par l’intervention soviétique en Afghanistan à la fin de la même année (décembre 1979).

Depuis, une vague islamiste balaie en tous sens le Moyen-Orient, le djihadisme chiite et le sunnite se nourrissant réciproquement. Si la guerre du Golfe (1980-1988) a épuisé la version panislamique et tiers-mondiste du khomeynisme, une synthèse irano-chiite, enracinée dans le nationalisme persan, a depuis pris le relais.

Le Guide suprême, Ali Khamenei, les Pasdarans (Gardiens de la Révolution) et leur fer de lance, Al Qods, sont animés par un vaste projet de domination du Moyen-Orient, depuis la Caspienne et le golfe Arabo-Persique jusqu’en Méditerranée orientale, avec de possibles répercussions en Afrique du Nord et dans le bassin occidental de l’ancienne Mare Nostrum.

On sait la menace que l’expansionnisme de Téhéran et l’ouverture d’une “autoroute chiite” à travers le Moyen-Orient représentent pour Israël. Outre le Hezbollah, une créature des Pasdarans qui domine Beyrouth et le Liban-Sud, l’Etat hébreu doit désormais faire face à l’implantation iranienne en Syrie dont Vladimir Poutine était censé nous préserver, ainsi qu’en Irak. Pasdarans, milices panchiites et missiles y sont déployés afin d’encercler Israël.

À l’évidence, les régimes arabes sunnites sont également mis en péril. Voici déjà plusieurs années que les Pasdarans se vantent de contrôler quatre capitales arabes: Bagdad, Damas, Beyrouth et Sanaa.

Trop souvent, le cas du Yémen est abordé sous le seul angle humanitaire. Assurément, le poids du passé (le régime marxiste du Yémen du Sud), le soutien apporté à Saddam Hussein lors de l’invasion du Koweït et l’unification tardive d’un pays compartimenté sur les plans géographique et tribal (1991) expliquent en partie la situation géopolitique.

Pourtant, c’est le soutien de Téhéran à la rébellion houthiste, i.e. la minorité zaïdite du nord-ouest, qui a donné une nouvelle ampleur à la guerre civile. La prise de Sanaa et l’exil du gouvernement légal (2014) ont conduit à l’intervention d’une coalition arabe emmenée par Riyad et Abou Dhabi (mars 2015). En violation de l’embargo sur les armes institué par l’ONU, la livraison de missiles balistiques iraniens aux rebelles et leur emploi contre l’Arabie Saoudite ont étendu ce conflit. Les Houthistes s’avèrent être les auxiliaires du régime irano-chiite dans son entreprise de domination régionale, sur les arrières des monarchies du Golfe. Cette question géopolitique a aussi une forte dimension internationale: la principale route maritime entre l’Europe et l’Asie passe par le détroit de Bab-el-Mandeb et le golfe d’Aden.

Ce complexe de forces et de haines, réunies sous les slogans du type “Mort à Israël, mort à l’Amérique!”, constitue le redoutable “croissant chiite” désigné comme tel dès 2004 par le roi de Jordanie. Se mouvant et frappant au cœur d’une région très majoritairement peuplée d’Arabes sunnites, cet axe détermine certaines des lignes dramaturgiques qui expliquent la puissance et les constantes résurgences de l’extrémisme sunnite. Afin de pouvoir mener cette entreprise impérialiste à l’abri d’éventuelles frappes occidentales, Téhéran a entrepris de conduire un programme nucléaire, clandestinement et illégalement au regard des engagements pris dans le cadre du Traité de non-prolifération (TNP, 1968). Le dévoilement de cette information, en 2002, grâce à des agents des Moudjahiddines du Peuple (la résistance iranienne), aura été le point de départ d’une longue crise diplomatique marquée par des pics de tension, l’adoption de sanctions économiques puis un embargo sur le pétrole. Seule cette pression constante et l’unité maintenue d’un front diplomatique occidental, soutenu par Pékin et Moscou comme la corde soutient le pendu, auront amené l’Iran à la table des négociations.

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