L’examen d’un texte allongeant les délais pour avorter annulé après l’obstruction de la droite

L’examen d’un texte allongeant les délais pour avorter annulé après l’obstruction de la droite Le texte a été retiré de l’ordre du jour à l’Assemblée nationale, en raison de la multitude d’amendements déposés par la droite.

« Rien n’est plus fragile que les droits des femmes », avait déclaré à l’Assemblée nationale la députée Albane Gaillot (Val-de-Marne, ex-LRM) lors de l’examen, en première lecture, de sa proposition de loi visant à allonger les délais légaux pour avorter (de douze à quatorze semaines), qui avait été finalement adoptée avec le soutien de la gauche et de la majorité. Le texte, qui avait alors fait l’objet de 122 amendements venus en majorité de l’opposition de droite, avait été débattu âprement dans l’Hémicycle le 8 octobre 2020.Quatre mois plus tard, alors qu’il devait être examiné en seconde lecture à l’occasion de la « niche » parlementaire socialiste, jeudi 18 février, le texte a été retiré de l’ordre du jour, en raison de la multitude d’amendements déposés (484 amendements dont 423 issus des rangs Les Républicains), ce qui renforce la conviction exprimée par Mme Gaillot devant les députés, laquelle se teinte aujourd’hui d’une « grande déception ». « On utilise la méthode la plus vile et pernicieuse pour bloquer un texte. Cela montre juste qu’à droite il y a un blocage complètement idéologique. Ils ne veulent pas qu’on fasse progresser les droits des femmes ni le droit à l’avortement », soutient la députée. « J’interpelle le gouvernement, qui a aussi sa responsabilité à jouer. »

« A droite, il y a un blocage complètement idéologique. Ils ne veulent pas qu’on fasse progresser les droits des femmes ni le droit à l’avortement », Albane Gaillot, députée (ex-LRM)

Alors que 232 200 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été pratiquées en 2019 en France, la proposition de loi apportait trois changements significatifs à la loi Veil de 1975 : outre l’allongement du délai légal de recours, la suppression de la double clause de conscience des médecins, et la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des IVG chirurgicales jusqu’à dix semaines. « Un crève-cœur et du temps perdu »

En commission des affaires sociales avaient été aussi ajoutés, il y a quelques jours, la création d’un répertoire regroupant les professionnels de santé acceptant de pratiquer des IVG, et, par un amendement des rapporteuses, le fait de généraliser l’allongement du recours à l’IVG médicamenteuse en ville de cinq à sept semaines de grossesse, actuellement possible seulement en milieu hospitalier.« C’est évidemment un crève-cœur et surtout du temps perdu pour faire avancer les droits des femmes », pour le groupe des parlementaires socialistes et apparentés, qui justifie sa décision de ne pas reprendre finalement le texte par un simple calcul mathématique : « Examiner 500 amendements suppose entre dix-huit et vingt heures de débat, or notre journée parlementaire n’en comporte que onze et demie. Par conséquent, mécaniquement, il ne sera pas possible d’examiner ces amendements. »« Nous travaillons depuis deux ans sur ce sujet, on était proches de passer une étape supplémentaire et la méthode adoptée par la droite me met en colère », réagit la députée socialiste Marie-Noëlle Battistel (Isère), co-rapporteuse du texte. D’autant que « ce sont pour une bonne part des amendements d’obstruction, qui portent sur des virgules », dénonce-t-elle. Volonté d’allonger les discussions

Plusieurs dizaines d’amendements visent à supprimer les dispositions liées à la clause de conscience ou au délai d’allongement de l’IVG. D’autres amendements font clairement état d’une volonté de la part de certains députés LR d’allonger les discussions. Une série d’amendements du député LR Marc Le Fur (Côtes-d’Armor) prévoit ainsi que « le gouvernement remet un rapport au Parlement sur l’évolution du nombre d’interruptions volontaires de grossesse, les méthodes utilisées et les actions engagées pour assurer le libre choix des femmes ». Cet amendement est décliné une douzaine de fois, précisant que le rendu de ce rapport devra se faire après sept, puis huit, puis neuf… jusqu’à dix-huit mois après l’adoption de la loi.Dans les rangs du groupe LR, on défend à travers cette stratégie parlementaire la volonté de débattre de la proposition de loi sur un temps plus long. « On nous fait un faux procès. Notre volonté était de participer au débat et de porter un certain nombre de sujets », défend la députée LR du Maine-et-Loire Anne-Laure Blin.Cette obstruction dénoncée par la majorité et le groupe socialiste illustre le profond désaccord de la droite avec les mesures envisagées dans cette proposition de loi. « On ne peut pas faire du droit des femmes l’alpha et l’oméga. Il n’y a pas que leurs droits qui sont en jeu. Il faut pouvoir le concilier avec le droit à la vie. C’est ce juste équilibre qu’il faut trouver et qui l’avait été dans la loi Veil et qui aujourd’hui est totalement dénaturé », affirme Mme Blin.L’abandon de ce texte signe aussi un renoncement symbolique des élus socialistes, selon certains députés de la majorité qui regrettent que les députés PS n’aient pas maintenu le texte à l’ordre du jour. « Pour un parti politique qui se dit progressiste et défenseurs des droits, c’est tout simplement honteux », dénonce ainsi la députée LRM Cécile Muschotti, membre de la délégation du droit des femmes à l’Assemblée nationale, à l’origine d’un rapport parlementaire ayant fortement inspiré le texte. Calendrier parlementaire rempli

Avant cette nouvelle étape, la proposition de loi, et en particulier la question sensible de l’allongement des délais, avait déjà franchi plusieurs obstacles. Issue des rangs de la dissidence LRM, elle avait pourtant été votée en première lecture avec le soutien de la majorité et contre l’avis du gouvernement. A l’époque, le ministre de la santé, Olivier Véran, avait joué la prudence et demandé l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). L’instance avait estimé que le report de deux semaines du délai légal pour avorter ne présentait pas de risque pour la santé des femmes. Grâce à l’ancienne ministre de la famille, Laurence Rossignol, le texte avait donc été inscrit au Sénat à la fin de janvier. La majorité sénatoriale, de droite, avait alors refusé de l’examiner en posant une question préalable.Après cette nouvelle obstruction des Républicains, la balle est désormais dans le camp du gouvernement. En décembre, le président du groupe LRM à l’Assemblée nationale, Christophe Castaner, avait annoncé, après l’avis favorable du CCNE, « son souhait de pouvoir inscrire à l’ordre du jour, dès que possible après l’examen du texte au Sénat » la proposition de loi. Mais le calendrier parlementaire déjà bien rempli rend son examen difficilement envisageable. Les députés LRM pourraient choisir de la mettre à l’ordre du jour au mois de mai, mais rien n’est moins sûr en la présence d’autres propositions de loi comme celle sur la fin de vie.

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